Beyrouth centre-ville, version Depardon



Beyrouth Centre-ville de Raymond Depardon, Points, 2010, 100 p.


Deux miliciens en armes. La scène est familière. Trop familière, hélas. Quelques indices nous indiquent la période. L’ambiance semble bon enfant. On les devine chrétiens. Mais qu’importe. Autres temps.

Eté 1978, Raymond Depardon, grand photo-reporter, cinéaste, auteur de documentaires légendaires et co-fondateur de l’agence Magnum, est à nouveau à Beyrouth pour saisir la fièvre milicienne. Il navigue entre l’Est et l’Ouest, passe par le Centre-ville, rencontre quelques figures politiques, mais surtout des Libanais aux prises avec les vicissitudes de la guerre : victimes dans les hôpitaux, réfugiés dans des abris, citoyens ébranlés par la dévastation des armes, jeunes mariés à la fête, mais surtout miliciens hilares et joueurs, aux aguets, à la pause ou à la parade, acteurs d’un conflit qui les dépasse. La série d’images datant de cette période est absolument fascinante tant on y sent encore la fraîcheur d’une génération pas encore totalement tombée dans le cynisme et frappée par les désillusions nombreuses qui suivront. Les jeunes combattants chamounistes se prêtent allègrement au jeu de l’objectif de Depardon. Ils déchanteront plus tard, hors champ.

Depardon reviendra à Beyrouth à plusieurs reprises, captivé par cette ville dévastée. Quand la guerre civile prend fin, la Fondation Hariri l’invite avec d’autres photographes de renom, dont Gabriele Basilico, Robert Frank, René Burri, Josef Koudelka et Fouad Elkhoury, à procéder à un état des lieux au Centre-ville de la capitale. Ruine urbaine magnifique, cette avant-dernière série d’image s’absout de toute présence humaine. Elle est l’épitaphe voulue par le nouveau maître des lieux avant le passage des bulldozers et la destruction totale du passé qui doit permettre à la société privée Solidere de faire main basse sur les biens fonds du cœur historique de Beyrouth en nous promettant un brillant avenir. Peu après, Depardon note : « Le Centre-ville de Beyrouth que j’ai connu a vraiment disparu »

Vingt ans plus tard, l’avenir n’est pas plus brillant. L’eau a coulé sous le pont de la Quarantaine depuis que le général Aoun, chassé par les Syriens, a été se réfugier à l’ambassade de France en octobre 1990. Signe possible de commémoration, les éditions Points sortent en catimini Beyrouth Centre-ville de Raymond Depardon avec un texte de Claudine Nougaret, sa compagne et complice, qui a aussi connu la guerre civile du Liban. Le titre est - étrangement - identique à l’ouvrage commissionné par la Fondation Hariri et accompagné d’un texte de Dominique Eddé publié par les éditions du Cyprès en 1992. Dans un format de poche très accessible mais qui semble avoir été trop rapidement exécuté - anniversaire oblige ? - et qui est décidément trop étroit pour rendre la vraie valeur de son travail photographique, Depardon nous livre non seulement ses images correspondant à différentes périodes de Beyrouth, mais aussi ses remarques, simples et tellement justes, sur ce qu'il voit. Depuis sa découverte de Beyrouth, « oasis d’allégresse » en 1965, puis ses multiples passages dans la ville en guerre, jusqu’à sa visite furtive en 1998, Depardon a déchanté : « Je ne suis pas triste. Pas de nostalgie possible ». Il est curieux pourtant. Il reviendra. On l’attend.

- article publié dans L'ORIENT LITTERAIRE, supplément de l'Orient-Le Jour du jeudi 3 février 2011 -

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