Domesticité et sous-traitance



Étrange pays que le Liban.

Beaucoup de natifs d'ici s'en vont ailleurs, depuis plusieurs siècles, chercher une meilleure vie en offrant leur service et leur savoir-faire en matière transactionnelle. Yes Mister ! Yes Madam ! Very good price for you !

Beaucoup de natifs d'ici, qui restent ou reviennent, des plus aisés aux moins nantis, font venir des natifs d'ailleurs pour faire toutes sortes de besognes qui semblent échapper soit à leur capacité physique, soit à leur dignité ou encore à leur entendement, sans que cela leur coûte trop cher. Yes Mister ! Yes Madam ! My country is so poor I will work for you very cheap !

Reste évidement une troisième catégorie de Libanais qui n'ont ni visas ni les moyens, ou tout simplement qui ont appris à se cuire un œuf, à faire leur lit et à se torcher le cul tout seul. Mais c'est une minorité. Et les minorités, elles n'ont qu'à aller voir en Syrie si j'y suis. 

Dit autrement, beaucoup de Libanais s'en vont trouver pitance ailleurs car ce pays remplis d'arabes teigneux venus des quatre coins de l'empire ottoman et divisés en confessions diverses ne leur a jamais offert un avenir radieux. Sauf pour ceux qui se sont bien arrangés avec les Ottomans (suivez mon regard sur la bande des Sheikh, des Amir et d'autres nobliaux de la perception de la taxe...), puis ceux qui se sont bien arrangés avec les Français (suivez toujours mon regard sur ces chiens d'infidèles devenus fonctionnaires et wakils...), puis enfin ceux qui se sont bien arrangés avec leurs copains lors des distributions des sièges politiques et des budgets étatiques (suivez encore mon regard sur les épiciers du communautarisme...). Ajoutons à la liste des mecs pas pressés de partir voir ailleurs si l'odeur de la ficelle des strings des danseuses du carnaval de Rio sent la rose ou le jasmin : les patriarches, les sayeds, les muftis et leur cohorte de joyeux valets locaux qui ont le doigt sur la gâchette et roulent en 4x4 à vitres fumées. Quand on a les clefs de la prison, on a assez peu de raison de se faire la malle.

Certains des Libanais qui s'en vont trouver un avenir radieux ailleurs offrent leurs services d'intermédiaires plus ou moins cultivés aux riches et aux puissants des pays du Golfe ou d'Afrique de l'Ouest. Yes Mister ! Yes Madam ! Give me a lot of money and I will do whatever you want without questioning ! Après, ils peuvent parfois rentrer au Pays avec beaucoup d'argent, faire de l'immobilier, du commerce de diamants, de la politique, éventuellement avoir leur propre milice, et construire des villas avec des colonnes doriques en plâtre. C'est assez chic aux yeux des cueilleurs de pommes et des chauffeurs de taxi. Et ça nous change du style phénicien.

Les autres Libanais qui s'en vont trouver un avenir radieux ailleurs, aux Amériques, en Europe ou en Australie, trouvent un job, changent de nationalité, éventuellement font une brillante carrière grâce à leur compétence qui ne trouvait preneur entre Tripoli et Tyr. Au pire, il font commerce de voitures allemandes d'occasion ou vendent des falafels, ce qui est assez honorable. Yes we can ! Merci et bravo.

On en dira pas autant pour les natifs d'ici qui sont ici et qui font venir des natifs d'ailleurs pour faire les Yes Mister ! Yes Madam !  chez eux et dans leurs lieux de commerce. Aujourd'hui, fini la domesticité à grand-papa où on amenait des jeunes-filles des villages pauvres du pays pour frotter les carreaux de la cuisine à quatre pattes, couper finement le persil pour le taboulé, dépuceler les adolescents de la maison et, en bonus, faire quelques avortements en cachette après que le mari ait fait un peu d'exercice testiculaire quand madame était chez le coiffeur.

Aujourd'hui, la domesticité fonctionne comme l'industrie alimentaire. L'origine de la main d'œuvre est mondialisée, a ses lucratives filières et ses tarifs variables qu'on négocie chez les agents locaux plutôt louches, selon la couleur de peau, les capacités linguistiques et l'expérience du ou de la préposée aux tâches ingrates. Dans le plus grand mystère. Essayez de savoir pourquoi, à Beyrouth, les noirs finissent toujours nettoyeurs et plongeurs dans la restauration ? ou pourquoi les pompistes sont Égyptiens ? ou pourquoi les Philippines sont mieux payées que les Sri Lankaises qui le sont mieux que les Bangladaises ? ou pourquoi quand on est Éthiopienne, on peut se faire molester tranquillement au pied de son consulat sans que cela ne dérange qui que ce soit ? ou pourquoi les employées de maison ne sont pas considérées comme des étrangères au même titre qu'une Française, une Américaine ou une Iranienne venue travailler pour un employeur libanais et doivent passer par une porte spéciale à l'aéroport, genre triage du bétail à la Quarantaine ? Sans parler de cette ambiance qui fleure bon la traite négrière - une brillante invention arabe, celle-là - qu'on renifle à des degrés divers un peu partout dans les maisons.

Mais Mister et Madam sont pardonnés puisqu'ils offrent un "emploi" qui permet de faire vivre toute une famille dans la banlieue de Manille, de Dacca, de Colombo ou d'Addis Abebba. À ce tarif, il va falloir songer à leur décerner la médaille du bon cœur. Et n'en déplaise aux âmes sensibles qui chaque soir font fiévreusement le calcul de leur empreinte carbone de la journée, au Liban c'est toujours moins grave qu'en Arabie Saoudite ou en Libye (rappelez-vous, la libanaise de femme du rejeton Khaddafi qui s'entrainait au Taekwondon sur son employée). Chez-nous, inutile d'user de la violence, les employées tombent toutes seules par la fenêtre ou se pendent dans leur chambre avec les draps. Celles qui restent en vie finissent par rentrer chez elles, car évidement, on ne va pas commencer en plus à les laisser s'installer. Déjà que les Palestiniens...

Pourtant, un peu à l'écart des circuits de la sous-traitance du travail domestique qui ne sied pas au génie du natif d'ici, une catégorie de travailleuses temporaires prend le Libanais en main. Elle le trait, le pompe, s'assied dessus, se l'enfile par devant et par derrière et lui fait payer le champagne. Fuck me Mister ! Fuck you Madam ! 



Texte et illustration publiées dans le numéro 4 de LA FURIE DES GLANDEURS, journal illustré d'humour et d'humeur libanais.

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