Sur la terre, comme au ciel, l'odyssée de l'homme


L'Odyssée de l'homme commença le jour où le singe tomba de l'arbre. Il se fit mal, se plaignit et devint con. S'en suivit une évolution dont on se demande toujours si la direction fut la bonne. Il perdit d'abord sa fourrure (à l'exception des Arabes, des Arméniens, des Portugais et des Allemandes). Puis se compliqua la vie en voulant élever des chèvres - la sédentarisation est mère de la zoophilie - et se mit à cultiver du blé transgénique pour produire des lasagnes à la viande de cheval. Puis vint l'heure de se faire rosser par sa femme parce qu'il rentrait trop tard et bourré du café. L'homme, qui descend donc du singe qui descend de l'arbre, ne put alors s'empêcher d'avoir une certaine nostalgie de sa vie antérieure dans les hauteurs de la canopée. D'être passé de la légèreté de la vie dans la cime des arbres où il sautait joyeusement d'une branche à l'autre et côtoyait les oiseaux colorés aux chants polyphoniques, à la dureté de la vie au sol où grouillaient nombre de méchants parasites et de violents prédateurs grognants, le rendit triste, mélancolique, peureux et dépendant aux antidépresseurs. Bref, il se demandait à chaque seconde ce qu'il foutait là, sur cette putain de terre, à errer comme un idiot sans but. Il se rendit surtout à l'évidence : en haut, avant, c'était mieux. Un peu le paradis. Mais comme il avait perdu son agilité et pris du poids à force de bouffer du caca d'éléphant et des fruits moisis qui traînaient au sol, il dut bien se rendre à l'évidence : la vie en hauteur, au sommet des arbres, les nuages, les étoiles, le ciel, l'air frais, tout ça, c'était bien fini.

Afin de supporter sa nouvelle condition d'humain, l'homme dut s'inventer un mythe qui justifie une telle misère. Cela lui permettait aussi, pendant les longues soirées d'hiver, d'avoir quelque chose à raconter aux gosses qui demandaient sans cesse ce qu'ils foutaient là à se les geler cul nu au milieu de nulle part. L'homme imagina des histoires avec des personnages plein de pouvoirs vivant dans le ciel qui s'amusaient avec la vie des pauvres types sur terre. Les gosses se taisaient et buvaient enfin leur soupe au pain rassis sans faire chier. Bref, en résumé, ça a donné Dieu, le paradis dans le ciel, l'enfer sous terre. Et entre les deux étages : « ferme ta gueule, prie, bosse et fais des gosses ! ». Depuis, l'homme regarde niaisement dans le ciel. Se dit que là-haut, loin au-dessus des nuages, il y a un bonhomme qui l'a conçu, lui, l'homme, à son image mais moins réussi quand même, et surtout moins malin. Un bonhomme qui le voit, qui teste sa patience et qui lui fait endurer des choses pour voir si, après son passage sur terre, il retournera en haut dans le ciel pour l'éternité ou sombrera définitivement dans la chaudière à mazout au fond de la cave mal éclairée.

Le ciel, évidement, c'est mieux. Les singes le savent bien, surtout ceux qui ont fait le tour de la ka'aba de Stanley Kubrick en écoutant "Ainsi parlait Zarathoustra" de Strauss. La température est agréable, la vue est magnifique, les anges ne font pas chier et vous servent des spritzs accompagnés de cacahuètes salées et des Margarita bien frais avec le sourire, les vierges nombreuses et bien épilées s'offrent aux martyrs fraîchement explosés, fumer des joints y est parfaitement légal, on y trouve facilement des places de parking gratuit, tout le monde est sympa et de bonne humeur. Forcément. Quand on sait ce qui se passe en dessous.

Le ciel, c'est aussi la fête avec David Guetta aux platines, le rêve, les origines, le jour et la nuit, le soleil et la lune, Vénus, Mars, Jupiter, les étoiles, les galaxies lointaines, le boson de Higgs, le big bang et compagnie. Autant de bonnes raisons de s'intéresser à la voûte céleste, de s'envoyer en l'air et d'aller y voir l'infini de plus près.

Si l'observation du ciel est une activité aussi ancienne que la prostitution, son exploration reste cependant plus tardive. Il y a aussi une forte corrélation entre le développement des technologies guerrières et celles liées à la conquête du ciel puis de l'espace. Tout commence dans notre coin du bougnoulistan, avec les cailloux et la fronde que David utilise contre Goliath, invention qui démontre au passage la supériorité de l'outil et du calcul balistique sur la force brute et péremptoire des torses poilus. Ailleurs, peu de temps après, les Chinois mettent au point des engins pyrotechniques à base de poudre noire qui, quand ils éclatent dans le ciel, célèbrent la magie céleste des étoiles et de la création de l'univers. Et, accessoirement, la puissance du souverain qui n'en rate pas une pour impressionner les petites gens avec des feux d'artifice. La fusée, invention née dans l'Empire du Milieu (comme les pâtes, la boussole, l'imprimerie, le papier, la soupe d'aileron de requin et le capitalisme d'Etat), arrive ensuite chez nos voisins les Byzantins qui s'en servent pour lancer le feu grégeois. Récupérée par les Arabes et disséquée, au XIII° siècle,  dans une étude célèbre intitulée Kitâb al-furussia wal munassab al-harbiya, elle parvient en Italie dès le XIV° siècle et prend son nom de roquette. Il faut attendre la période moderne pour que, grâce aux travaux théoriques du scientifique russe autodidacte Constantin Tsiolkovski et au savoir-faire des ingénieurs allemands, des progrès notoires permettent d'envoyer des missiles à longue distance. Londres fera les frais des fusées V2 nazies conçues par Wernher von Braun, un brave garçon qui trouvera un bon job à la NASA en 1946, après avoir travaillé pour Adolf Hitler et fait crever du déporté au camp de l'usine souterraine de Dora-Mittelbau.

La suite est plus familière. Les États-Unis d'Amérique et l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques entrent en compétition pour la conquête de l'espace dans les années 50. Les communistes marquent les premiers points. D'abord en 1957 avec le lancement du premier satellite artificiel, le Spoutnik, avec à son bord la chienne Laïka (qui mourut assez vite les ovaires congelés). Le 12 avril 1961, Youri Gargarine effectue la première mission spatiale habitée (qui donna l'occasion du premier pipi en apesanteur). Le 16 juin 1963, Valentina Trechkova est la première femme de l'espace. Le 18 mars 1965, Alekseï Leonov effectue la première sortie extra-véhiculaire dans l'espace. Toutefois, la conquête de la lune est emportée par les Américains et la mission Apollo. Le 21 juillet 1969, Neil Armstrong, pose sa semelle en forme de steak grillé dans la poussière lunaire. Rebelotte pour les Soviétiques le 13 novembre 1971 avec le lancement de la première station habitée Saliout-1.

1971 donc… Quelques millions d'années après que le singe soit tombé de l'arbre, l'homme a la tête dans les étoiles et peut enfin se regarder d'en haut, bien au-dessus de la cime des arbres, depuis l'espace, en fumant sa pipe tranquillement. Que voit-il ? Des hippies qui se laissent pousser les cheveux et pratiquent l'amour libre en public. Des Vietcongs en sandales qui font suer les G.I.s sous LSD à la frontière du Laos. Le Chah d'Iran qui célèbre en grande pompe les 2500 ans de la monarchie perse avec ses copains people décatis. Le Qatar qui devient indépendant mais ne s'intéresse pas encore au sponsoring des footballeurs, des Frères musulmans et des milices salafistes. Hafez el Assad qui prend la tête de la République Arabe Syrienne, se frotte les moustaches et ajuste ses lunettes de soleil, un léger sourire en coin.

L'Odyssée de l'homme vu du ciel n'a pas fini de nous étonner.

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