Sous les bombes

L’été. Putain de saison. On ne sait jamais de quel côté le prendre ce salaud. Recto ou verso ? Chaque côté à ses avantages et ses inconvénients. Inspection de détail, bruits et odeurs à l’appui, d’un petit échantillon de poilus et d’épilées égaré à la belle saison entre Tyr et Tripoli.



L’été est une période chaude et humide du cycle de la vie libanaise. Les comportements de la faune locale ainsi que des espèces migratrices qui viennent profiter d’un climat relativement tempéré lors de l’estivage sont symptomatiques. Les mâles et les femelles sont à la parade, dégageant tout leur potentiel de phéromones. La marmaille s’agite et couine. Les esclaves importés d’Afrique de l’Est et du sous-continent indien s’esquintent à la plage avec apathie à porter les sacs d’une main et à essuyer la bave et les morves des petits singes d’une autre. Les hauts-lieux de la nuit et de la bronzette sous alcoolpop’ sont combles. Les embouteillages sont à leur paroxysme sur les axes conduisant aux lieux d’abreuvages nocturnes et de baignades diurnes. Des pâturages réservés se remplissent de variétés ovines et caprines du Golfe arabo-persique, ce qui permet quelques ébats et rencontres entre les membres des tribus disséminées le reste de l’année entre Aden et Doha. Les cousins et les cousines d’outre-mer réapparaissent pour participer à la grande geste familiale, principalement des méga-mariages auxquels sont aussi conviés quelques petits blancs en short kaki et chemise à fleurs. Voilà donc l’ambiance générale dans cette garrigue déboisée qu’est le Liban, entre mer et montagne, à la saison estivale. Il y a donc, à ce moment de l’année, à boire et à manger, du mauvais et du bon, des inconvénients et des avantages.

Mais tout d’abord, quand commence l’été ?

D’un point de vue botanique, l’été commence quand les jacarandas perdent leurs fleurs violette rue de Damas. Tout d’un coup, le fond de l’air n’est plus si frais, mon cousin met l’air conditionné sur la position Igloo, et, dix minutes après la douche matinale, on sent une vague moiteur s’immiscer entre la colonne vertébrale et le bas de la chemise, au niveau du duvet presque invisible qui remonte depuis la raie des fesses (quoique... y en a qui ont la crinière de poney qui leur parcourt toute l’échine). C’est aussi le moment où l’on croise quelques agité(e)s de la vie en boîte qui circulent en ascenseur d’un étage à l’autre (où les croiser ailleurs ?) en s’éventant à grand renfort de commentaire climatique : « Yay ! il fait vraiment trop chaud... je vais mourir ! » Tel le brame du cerf à la période du rut, voici donc le signal vocal soufflé par les bonnes gens qu’une moindre augmentation de température et d’humidité met dans l’incapacité mentale et achève mon vague espoir qu’il reste quelque chose à sauver de l’espèce humaine, surtout celle qui broute son burger/salade iceberg/coke-light en fumant des cigarettes dans une échoppe de concept-cuisine franchisée avec deux Nigériens en combinaison bleue opérant la serpillière entre les WC et le bar.
Au chapitre des inconvénients saisonniers qui s’ajoutent aux plaisanteries existentielles dont nous gratifient tout au long de l’année les gérants et les propriétaires du parc à bestiaux libanais, l’été côté recto est particulièrement marqué par:

- la recrudescence d’urine enfantine et de lotion solaire dans les bassins de rafraîchissement privés construits plus ou moins illégalement sur la zone d’accès payant de la côte ;

- l’accumulation de miettes, de mégots, de morceaux de frites graisseuses, de préservatifs usagés, de capsules de bière, de bouteilles en plastique et d’autres reliques digestives que les pauvres, les jeunes drogués, les gauchistes pro-palestiniens pas tout à fait amis du Hezbollah et les homosexuels déposent dans le sable et sur les rochers de la zone d’accès gratuit de côte qui a encore échappé à l’avidité des promoteurs immobiliers ;

- la hausse dramatique des coupures d’électricité proportionnelle à l’usage de l’air conditionné dans les hôtels et les résidences à migrateurs du Golfe et d’ailleurs. Il faut dire que l’agitation domestique dans les familles nombreuses ne favorise pas la ventilation naturelle des corps adipeux, surtout lorsqu’ils sont pourvus d’une fourrure à poils noirs, longs et drus.

Certes, la liste des inconvénients de la saison estivale ne s’arrête pas là, mais il faut aussi reconnaître certains de ses avantages:

- un grand nombre de nouvelles têtes apparaissent de-ci de-là, preuve évidente que la pêche industrielle au filet dérivant nécessaire à l’approvisionnement en sushi du bobo, le déboisement de la forêt amazonienne pour cultiver du maïs transgénique qui servira à engraisser les vaches du burger, les accidents nucléaires, les révolutions arabes, la fonte des glaces et le changement climatique ne nuisent pas à la biodiversité. En particulier celle des humanoïdes associés. L’été est donc la saison idéale pour pratiquer les recensements des espèces et effectuer les mesures anthropologiques (masse musculaire/masse adipeuse, tour de poitrine, présence de silicone, présence du « camel toe » lors du port du bikini ou du jean slim, qualité de l’épilation, inventivité des french manucures, inventaire et estimation du coût des accessoires dans les tenues, capacité à obtenir une table VIP au Momo, endurance aux drogues diverses, la liste est infinie...) ;

- l’abondance des cérémonies précédant l’accouplement officiel des mâles et des femelles entre juin et septembre est l’occasion de ripailles arrosées collectives à répétition et de nouvelles possibilités de trouver des partenaires sexuels pas trop décatis et disposés ;

- les grandes chaleurs du jour poussent le bétail hors de la ville, en bord de mer ou en altitude, ou encore dans les étables dotées d’air conditionné. Les horaires sont réduits. Les enfants sont en vacances. Les rues se libèrent. Les hôteliers et les restaurateurs se frottent les mains. Les vendeurs de parasols et les loueurs de bungalows aussi. Les barmans spécialisés en cocktail se prostituent à prix d’or dans les bars de plage et sur les toits de la ville transformés en boîte de nuit. Les prostituées font du chiffre. L’alcool coule à flot. Les soirées partouze-sniffette donnent vie aux villas de montagne et aux appartements du centre-ville. Que du bonheur !

- ajoutez un petit conflit confessionnel, quelques attentats et/ou une bonne guerre avec les voisins, tout le bar est à vous, le DJ ne passe que vos morceaux favoris et les trois filles sous lexo rencontrée au bord de la piscine sont prêtes à danser seins nus sur la table. Gratis.

L’été sous les bombes, c’est le rêve !

- article publié dans le numéro 2 de LA FURIE DES GLANDEURS, journal illustré d'humour et d'humeur libanais -

Commentaires

  1. Je suis entièrement d'accord avec ton argumentation, surtout la mesure anthropologique .

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  2. merci pour cet photo il et mmmmmmmmmmmmmmmmmmanifique

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